Témoignage article

Au cours du colloque organisé par le SNEP Montpellier et avec la participation de l’association “CULTURE RUGBY DE MOUVEMENT, TEMOIGNAGES” le 22 novembre 2013 , un hommage a été rendu à un grand serviteur du rugby français, André QUILIS.   

 Avant de parler de formation je souhaiterais faire une révélation en signe d’hommage à André en le remerciant d’avoir jalonné mon parcours de sportif, d’éducateur et plus largement de citoyen. J’ai admiré depuis mon Dijon natal le sportif, lanceur de disque de très bon niveau puis le rugbyman international, tellement polyvalent qu’il était dans les années 60-70 le prototype du joueur de l’an 2000. L’éducateur ensuite que j’ai croisé à Sète au stage Maurice Baquet et également à Arras au stage de l’amicale de l’ENSEPS animé par René Deleplace. Et le citoyen enfin qui n’a jamais tourné le dos à ses convictions et surtout pas pour des raisons mercantiles. Alors qu’il me soit donné de te remercier d’avoir été un exemple, un phare qui qui m’a guidé tout au long de ma vie.Suit un témoignage de Jacques DURY sur son vécu d’élève puis d’enseignant et enfin d’entraineur, vécu du passage d’une conception de formation très “techniciste”à une formation où le coeur des apprentissages est bien le développement de l’intelligence tactique, conception que l’on doit ,en rugby au moins ,à un autre grand serviteur du rugby français,chercheur et “trouveur” reconnu , René DELEPLACE.

A propos de formation je commencerai par dire que le terme recouvre un champ très vaste d’actions éducatives qui vont de la plus tendre enfance à la fin de nos jours, et qu’il y a déjà beaucoup de publications sur le sujet, entre autre d’André.

Modeste professeur d’EPS j’ai choisi de vous faire part de ma seule expérience d’enseignant, d’élève d’abord, et un peu d’entraineur parce qu’elle témoigne, me semble-t-il,d’une évolution et même d’une révolution dans la façon de concevoir la formation de jeunes rugbymen. Comme énormément de professeurs d’EPS de ma génération j’ai oeuvré , bien entendu,d’abord et surtout à l’Ecole( lycée professionnel puis enseignement agricole)mais aussi en club, et à tous les niveaux de pratique, de l’école de rugby aux équipes séniors. Le hasard a voulu que je m’occupe de la sélection nationale universitaire pendant dix ans, à une époque où nous disposions des meilleurs joueurs de rugby qui faisaient des études et qui évoluaient en première division de notre championnat de France( Cigagna, Charvet, Pelous ,  Brouzet, Lacroix, Accoceberry, Lagisquet…)André a fait partie de la première équipe de France U. Depuis la création du rugby pofessionnel cette équipe a du mal à co-exister avec les autres sélections et c’est fort dommage parce qu’elle présentait cette grande originalité qui s’appelait “liberté expression”.

Mon propos n’est pas de donner des leçons à qui que ce soit mais de témoigner de mon vécu parce qu’il est, me semble-il, très significatif du passage d’une conception de la formation très techniciste à une conception de la formation où le coeur de apprentissages en sport collectif est la compréhension des rapports d’opposition, autrement dit le développement de l’intelligence tactique.(Coeur prit au sens propre du terme, tout élément venant ralentir le processus de progrès  ( pb affectifs, technique, moteur…) devant être appréhendé, résolu, pour que le coeur fonctionne encore mieux .)

     Mon vécu d’élève:

Je “rencontre” l’activité rugby en classe de sixième dans une région non rugbystique où la culture sportive était davantage tournée vers le hand-ball et l’athlétisme. Et avec un professeur d’EPS passionné de ce jeu, jeu qui nous était présenté comme la somme arithmétique de gestes, de mouvements collectifs qui, mis les uns au bout des autres, devaient constituer le rugby. Et c’est ainsi que l’on avalait des kilomètres de passes en tout genre, sans adversaire bien sûr, passe simple, passe redoublée ,  croisée , sautée, des kilomètres de figures de jeu à partir des phases statiques , simulées bien sûr, toujours sans opposition avec pour seule consigne” d’envoyer la balle à l’aile”…Le propos n’est pas ici de moquer celui qui deviendra un collègue , il faisait avec les connaissances du moment( nous sommes dans les années 60) et cela d’autant moins que je ne suis pas certain de ne pas voir de telles pratiques aujourd’hui encore.

Alors, même si l’on faisait de temps à autre un”test-match” avec , on peut l’imaginer , un nombre invraissemblable de fautes de main (rapport à l’adversaire!), cette approche n’a pas amené beaucoup d’entre nous vers une pratique plus “consistante” , socialement reconnue comme la pratique à l’AS ou en club. Je me suis alors tourné vers l’athlétisme où, là, je lançais “pour de vrai”. Mais en même temps, à côté de cette pratique très techniciste avec démonstrations, placement des mains sous le ballon, passe sur appui extérieur etc…, tournée beaucoup sur soit, un peu vers le partenaire, nous avions une pratique “sauvage” dans la cour du lycée ou dans la rue, faite un contre un, de deux contre deux voire plus, sur la base de ce que l’on voyait au stade le dimanche lorsque le même professeur d’EPS nous fournissait des invitations scolaires pour assister aux rencontres de l’équipe locale. Nous procédions alors par imitation, par intuition, et ces jeux libres nous faisaient vivre des situations tactiques nombreuses et variées , véritables “moules” aux réalisations gestuelles “justes”, en tout cas qui allaient dans le bon sens.

Il y a bien eu le passage de Pierre Conquet à Dijon , au lycée où j’étais élève et s’il est vrai que l’opposition systématique lors des six séances de rugby qu’il nous proposait(un cycle de six séances, c’était, à l’époque, une avancée terrible!) satisfaisait pleinement nos besoins de dépense physique par l’affrontement à un adversaire, le jeu proposé ne dépassait pas, faute de temps certainement, ce qu’il a appelé ensuite le “jeu de la bataille” et ne nous avait pas totalement convaincu sur la richesse du jeu de rugby.

Longue traversée du désert donc en matière de rugby de la classe de quatrième jusqu’à mon entrée à l’ENSEPS. Avec toutefois une grosse activité athlétisme pendant ce temps là.

Et pendant mes études de professorat je renoue avec une pratique rugbystique universitaire le mercredi après-midi (je commençais à tourner le dos à l’athlétisme, mes 90 kgs ne suffisant plus pour lancer poids et disque aussi loin que je l’aurais souhaité). Sur les conseils de copains de l’ENSEPS je prends une licence au PUC et c’est alors le choc, le “big-bang”, je rencontre René Deleplace.

Je vais voir ses entrainements, le questionne sur les contenus, l’interroge sur le fait de voir ni touche, ni mêlée au cours de ces séances( nous sommes en début de saison) et je découvre que cette façon de faire est une véritable révolution au sens strict du terme en matière de formation.

Il renverse complètement le cours des choses en partant de la compréhension des rapports d’opposition dans le mouvement du jeu, lorsque tous les acteurs ET le ballon sont en mouvement, situations où tous les éléments de décisions, à commencer par les déplacements des adversaires, sont présents, et tous en même temps, à la disposition des apprenants. On ne répète plus des figures de jeu “à priori”,sans opposant, on joue en fonction des mouvements de l’adversaire, et surtout ON JOUE, le rugby , avec René redevient un jeu que l’on apprend en JOUANT? C’est le développement de l’intelligence tactique, l’apprentissage aux décisions en plein jeu, que l’on soit porteur du ballon, partenaires du porteur de balle ou défenseurs, qui devient l’élément central de la formation. On va commencer par jouer et on repèrera tout ce qui fait obstacle au développement d’un jeu en perpétuelle continuité (lecture du jeu, problèmes affectifs, techniques, physiques). Ces “problèmes” pris en compte, traités, on retourne au jeu , à un jeu plus étoffé, plus “complexe”, qui présentera d’autres situations qu’il conviendra d’élucider au plan tactiques d’abord( les repérer) et le processus d’apprentissage devient alors une longue vis sans fin où l’on alterne travail tactique, travail technique, développement des moyens physiques et où l’on voit naître, au coeur même de l’apprentissage aux prises de  décisions des réalisations techniques ou des embryons de réalisations techniques qu’il faudra travailler mais cette fois dans le bon sens, avec des exercices qui prennent alors du sens pour les apprenants, ce que l’on peut alors appeler la “matrice tactique de la technique”.

Mon vécu de prof :

C’est donc riche de cette conception que j’entre dans le métier de “prof de gym” dans des établissements où les conditions m’ont toujours permis d’enseigner le rugby (terrain en herbe notamment). C’était l’époque où se faisaient des cycles courts( six semaines) parce qu’il nous semblait qu’un être physiquement éduqué était celui qui “connaissait” un grand nombre d’APSAS ! Pour constater quelques années plus tard que nous formions, en s’y prenant ainsi, d’éternels débutants. D’où la décision prise avec les collègues de proposer des cycles “longs”(12 à 14 semaines chaque année de leur scolarité) pour que les APSA proposées transforment profondément et de manière stable les représentations que les élèves peuvent en avoir en même temps que l’activité déployée par les élèves à propos de ces APSAS élargit le champ de leur savoir faire et de leur savoir être. Et cela, bien sûr, pour TOUS les élèves sans exception. Et pour atteindre ces objectifs, appropriation de l’APSA, transformation des représentations et des réalisations ON NE PEUT FAIRE L’ECONOMIE DU TEMPS !!!

Les données sont alors les suivantes:

– je peux enseigner le rugby dans de bonnes conditions : terrain en herbe, salle de réunion où je peux confortablement présenter la séance et donner, dans le détail, quelques apports théoriques( règlement, contenu tactique, façon de travailler….)

– les cycles sont relativement longs même si les séances sont relativement courtes (1 heure 20 environ)

– les élèves n’ont majoritairement aucune pratique rugbystique et des représentations plutôt “négatives”(rugby=jeu dangereux) mais ont toutefois envie d’en ” découdre” justement pour vérifier leurs hypothèses et comment ils vont se découvrir dans ce “sport de   brutes”,

– ces mêmes élèves ne jouent plus du tout dans leur quartier, ces jeux libres auxquels on pouvait jouer il y a déjà un moment,

– il existe dans notre département une activité rugby dans le cadre de l’UNSS ce qui me permettra d’aller plus loin dans les pratiques pour les volontaires de l’AS, faisant ainsi des leaders capables de dynamiser les séances d’EPS.

Se pose alors le comment entrer dans l’activité, dès la première séance. Ce sera par le jeu, dans le jeu, jeu défini par les règles fondamentales : marque, droits du joueur, hors jeu, tenu et règle de l’avantage, lesquelles sont présentées dans le détail en salle. Ces règles définissant le cadre de l’activité vont être un premier “moule” des représentations et des premières réalisations, ce que Serge Reitchess appelait ce matin la matrice règlementaire de la technique. “Reste” alors à l’enseignant à observer le jeu des élèves pour, à la fois, les aider à organiser leur jeu et leur faire découvrir de nouvelles solutions pour “gagner” la partie. Je ne rentrerai pas dans le détail de ce que l’on fait sur le terrain si ce n’est pour dire que:

– compte tenu du peu de temps dont on dispose à l’école, même avec des cycles “longs”, je proposais essentiellement des exercices au plan collectif total, des exercices au plan collectif partiel, peu d’exercices au plan individuel si ce n’est l’exploration des situations de 1c1 balle à terre et balle portée et de 2c(1+1),

– que je n’abordais le jeu sur phases statiques qu’en classe de terminale dans le meilleur des cas pour consacrer l’essentiel du travail à la compréhension des rapports d’opposition dans le jeu de mouvement et dans le jeu sur fixations, le jeu sur phase statique exigeant, me semble-t-il, que l’on ait une idée à peu près claire de ce qu’il y a à repérer lorsque” tout bouge”.

Un mot sur la mixité et l’évolution dans la façon de l’aborder: d’abord pas de mixité du tout, puis une pratique mixte avec droits et devoirs selon le sexe, puis une pratique mixte avec même droits et devoirs pour tous, sans aucun accident lié à la mixité. Ceci dit dans le contexte bien particulier du lycée agricole de Saint-Germain-en-Laye où les élèves ont toujours été respectueux de la règle et de “l’autre”.

Ce qui m’a confirmé le bien fondé de cette orientation des apprentissages:

– les réalisations des élèves en cours bien sûr avec des transformations significatives de TOUS,

– l’adhésion d’un fort pourcentage d’entre eux à l’activité rugby au sein de l’AS avec plus de 90 licenciés, garçons et filles, lorsque je suis parti à la retraite, et avec des résultats très correctes lors des finales nationales avec des élèves qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le rugby en entrant au lycée.

Mon vécu de responsable de sélection :

Concernant le travail en sélection, on ne peut pas à proprement parler de formation avec des rendez vous aussi courts à l’occasion des rencontres internationales. Mais là encore j’ai toujours pensé que ce n’est pas la mise au point de combinaisons qui organisait l’équipe de façon cohérente et efficace(même s’il faut bien sûr être d’accord sur la façon de lancer le jeu sur phases statiques) mais c’est bien une même vision des situations avec réactions collectives cohérentes à partir d’une prise de décision individuelle que l’on construit l’efficacité d’un groupe. Ainsi je passais plus de temps (dans les limites très étroites de nos rendez-vous) sur la lecture du jeu et le travail des prises de décisions que sur les lancements eux-mêmes, une très courte partie y étant toutefois consacrée sous la responsabilité des leaders et sur la base  de leurs habitudes de club.

Mais encore une fois on ne peut pas parler de formation mais d’orientation, souvent nouvelle d’ailleurs, dans la façon de concevoir le jeu : on “sautera” sur toute les occasions pour mettre l’adversaire en difficulté : jeu d’attaque, de contre-attaque, de défense en mouvement, déplacements et replacements se faisant, non plus seulement en fonction du poste occupé, mais à la demande du jeu quelque soit le poste. Mais surtout TOTALE LIBERTE de décision du porteur de balle, tous les partenaires étant alors à la disposition de celui-ci. A une époque où le “jeu” consistait d’abord à aller chez l’adversaire par du jeu au pied pour alors jouer à la main, nous avions pris le parti de jouer à la main ou au pied selon la situation du rapport d’opposition et non pas en fonction de notre situation sur le terrain. J’avais alors la forte conviction que c’était une époque où l’on formait surtout des joueurs de poste et pas beaucoup de joueurs de rugby. Je cite  Graham Henry entraîneur des ALL-BLACKS, champions du monde : “la mêlée n’a d’importance que par ce que l’on va faire après”.

Et à l’heure de la professionnalisation, avec des temps d’entrainement multipliés par 6 ou 8, où en est-on de la formation aux prises de décisions, quelle est la part consacrée au jeu de mouvement ?

C’est vrai que nous avions un retard considérable dans notre activité sur la préparation physique, le renforcement musculaire, la préparation mentale, et il fallait nécessairement se pencher sur ces questions. Aujourd’hui toutefois, je suis un peu étonné, en étant loin des réalités des terrains de haut niveau certes, de la large part faite aux préparateurs physiques (indispensables cependant), au travail de renforcement musculaire, au détriment de ce qui fait la spécificité des sports collectifs, à savoir, encore une fois , l’analyse des rapports d’opposition.

 Un mot enfin sur mon vécu en club :

– dans le “triptyque”(même si le terme est un peu dévoyé) intelligence tactique-technique individuelle-moyens physiques , auquel il faudrait aujourd’hui ajouter “préparation mentale”, analyse vidéo, que nous ignorions à l’époque, j’ai volontairement occulté la dimension “moyens physiques” dans l’enseignement à l’école, le travail au plan tactique me semblant suffisant pour développer les moyens physiques nécessaires .

– les deux “petits” entraînements hebdomadaires n’autorisaient pas ,non plus,à explorer avec beaucoup de rigueur le domaine des moyens physiques et seuls les étudiants en EPS et les profs d’EPS qui pratiquaient le rugby ajoutaient volontiers une séance supplémentaire dans la semaine spécifique au développement des moyens physiques (course, musculation). Et donc je “bricolais” des séquences de courses, surtout à l’approche des phases finales lorsque nous les disputions, des séquences de renforcement musculaire (qui n’ a pas fait “pompes” et abdos, porters en tout genre )au cours d’une séance d’entrainement dite de rugby ? Je ne suis toujours pas certain de l’efficacité de ces séquences !!

Le schéma classique des deux entrainements était alors:

– mardi: préparation physique, technique individuelle et travail des phases statiques sur la base de ce que l’on avait fait le dimanche précédent,

– jeudi: travail tactique et mise en place de lancements de jeu.

J’ai quelque peu transformé ce schéma pour imposer une quantité beaucoup plus importante au développement de l’intelligence tactique  le mardi ET le jeudi et ce, bien sûr, au détriment du développement des moyens physiques et d’un travail approfondi des phases statiques.

Ainsi le travail n’était pas de nature fondamentalement différent en club et à l’école, simplement nous “montions” plus haut au club qu’à l’école dans la spirale de la formation dont je parlais au début mais méthode et pourquoi  de la méthode étaient rigoureusement identiques.

Enfin et pour terminer, je voudrais vous renvoyer à lecture du livre écrit par René Deleplace “rugby de mouvement, rugby total” ,que vous trouverez sur le site de notre association. Je ne suis pas un pilier de bibliothèque mais je ne pense pas qu’il existe à ce jour un ouvrage aussi fini sur la formation tactique et qu’un tel ouvrage ne soit pas à la disposition de tous les étudiants en EPS m’est tout à fait insupportable ! René n’aurait pas aimé m’entendre parler ainsi mais tant pis c’est fait !!! Nul n’est prophète en son pays mais du coup on a beaucoup trop manipulé les concepts deleplaciens pour y mettre n’importe quoi derrière, que nous sommes  un certain nombre à s’inquiéter de voir très abimée la pensée de René ! La lecture du livre n’est, certes pas, toujours aisée et c’est pour cette raison que nous souhaitons, avec Patrick Ladauge qui a déjà fait un travail colossal, la rendre plus accessible en “vulgarisant” (je déteste ce mot surtout  concernant les écrits de René) certaines notions et en mettant en vidéo des situations contenues dans l’ouvrage: vous avez deviné l’appel aux bonnes volontés!

Montpellier le 22 Novembre 2013

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